Passer au contenu

Comment une loi américaine pourrait empêcher l’Europe d’acheter des puces Nvidia

Réserver les semi-conducteurs conçus aux États-Unis aux sociétés américaines : voilà ce que prévoit un projet de loi, qui pourrait, s’il est voté, restreindre l’approvisionnement en puces électroniques de l’Europe.

C’est un texte qui n’est pour l’instant qu’un projet de loi, mais qui pourrait bien ralentir, voire limiter, à terme, l’approvisionnement de semi-conducteurs de l’Europe, et donc de la France. Mardi 2 septembre aux États-Unis, un amendement au projet de loi qui vise à modifier la politique de Défense américaine a été publié. Il obligerait, et c’est une première, les entreprises du secteur à prioriser les clients américains pour les puces dédiées à l’intelligence artificielle (IA), avant de pouvoir répondre aux commandes provenant de l’étranger.

Par « étranger », le projet de loi désigne les pays soumis à embargo ou à des restrictions – comme la Chine, déjà objet de nombreuses sanctions américaines – mais aussi « des entités étrangères », ce qui pourrait impacter directement ou indirectement des sociétés européennes.

Ce n’est pas la première fois que l’Europe est visée par de potentielles restrictions aux exportations provenant des États-Unis. Joe Biden, avant son départ de la Maison-Blanche, avait mis en place un nouveau système de licences pour les exportations de technologies d’IA, qui visait aussi le Vieux continent. La mesure, appelée « règles sur la diffusion de l’IA (AI Diffusion Rule) »  avait finalement été abrogée par l’administration Trump en mai dernier.

À lire aussi : Guerre des semi-conducteurs : Joe Biden porte un dernier coup à l’industrie IA chinoise

Mais le projet de loi proposé le 2 septembre pourrait, s’il est voté, impacter les entreprises européennes qui s’approvisionnent principalement, pour les puces dédiées à l’IA, chez l’Américain Nvidia, leader mondial dans la conception et la vente des produits finis.

Que prévoit ce texte ?

Appelé « Guaranteeing Access and Innovation for National Artificial Intelligence Act of 2025 », le texte a pour objectif de garantir que les « petites entreprises, les start-up et les universités » américaines puissent se procurer les derniers GPU IA d’AMD, de Nvidia, et d’autres entreprises américaines, avant les clients des pays étrangers. Le texte limiterait la vente de la plupart des puces IA au reste du monde, en les réservant aux États-Unis, dans une sorte de politique « d’America First » appliquée de manière extensive au secteur des semi-conducteurs.

« L’intelligence artificielle est une technologie transformatrice et la politique des États-Unis devrait garantir que les citoyens américains (…) soient dans les meilleures conditions pour innover et exploiter le potentiel de l’intelligence artificielle », est-il précisé.

En pratique, les fabricants de semi-conducteurs qui souhaitent vendre à l’étranger devraient suivre toute une procédure avant de pouvoir envoyer des puces d’IA à l’étranger. Ils devront :

  •  prouver qu’ils ont bien proposé en premier leurs produits à des entreprises américaines et,
  • satisfaire toute la demande intérieure, avant de pouvoir expédier leurs produits à des clients étrangers.

Cela reviendrait à contraindre les fabricants américains à systématiquement passer par le département américain du Commerce pour demander une autorisation de vente des semi-conducteurs en dehors des États-Unis.

De quelles puces parle-t-on ?

« Les États-Unis et le ministère du Commerce devraient avoir pour politique de refuser les licences d’exportation des puces d’IA les plus puissantes, y compris celles dont la puissance de traitement totale est supérieure ou égale à 4 800, et de restreindre l’exportation de puces d’intelligence artificielle avancées vers des entités étrangères tant que des entités américaines sont en attente et ne peuvent pas acquérir ces mêmes puces », est-il stipulé.

Il s’agit d’un seuil relativement bas qui englobe la majorité des GPU haut de gamme, à l’image du H20 et du H100, du L2 PCIe de Nvidia, ainsi que du MI308 d’AMD, liste Tomshardware.

Nvidia vent debout contre cette potentielle nouvelle règle

Chez Nvidia, le projet de loi a suscité, sans surprise, une levée de boucliers. « L’AI Diffusion Rule (le système de Joe Biden NDLR), était une politique contre-productive, basée sur une science-fiction catastrophiste, et ne devrait pas être réintroduite. Nos ventes à des clients du monde entier ne privent en rien les clients américains et, en fait, élargissent le marché pour de nombreuses entreprises et industries américaines », a déclaré un porte-parole de Nvidia au Register, jeudi 4 septembre.

« Les experts qui alimentent le Congrès en fausses informations sur l’approvisionnement en puces tentent de renverser le plan d’action du président Trump en matière d’IA et de renoncer à la chance pour les États-Unis de devenir le leader mondial de l’IA et de l’informatique », a-t-il ajouté chez nos confrères.

Selon Nvidia, le projet de loi repose sur plusieurs idées erronées. La première : la demande en puces d’intelligence artificielle avancées dépasserait largement l’offre, et les entreprises américaines seraient contraintes d’attendre des mois avant de pouvoir s’en procurer – une vision des choses que conteste le champion américain des semi-conducteurs. L’entreprise explique donner la priorité aux clients qui disposent de la capacité de centres de données suffisante pour utiliser les puces, afin qu’elles ne restent pas inutilisées dans un entrepôt.

Autre « malentendu » : l’idée que plus Nvidia fabrique des puces pour la Chine, et moins il y en aurait pour les acheteurs américains. Un argument battu en brèche par Nvidia, qui rappelle qu’elle n’est autorisée à vendre que des H20 à la Chine. Ce semi-conducteur s’appuie sur une technologie vieille de trois ans, et offre des performances moins importantes que ses dernières puces IA. Un temps interdite, la vente de ces H20 a été à nouveau autorisée pendant l’été, à condition que Washington touche 15 % de toutes les ventes faites à la Chine.

Selon Nvidia, le projet de loi ne ferait que limiter les parts de marché de Nvidia et de AMD, tout en favorisant les fabricants de puces chinoises décrites comme de plus en plus compétitives. Mercredi, le champion américain a soutenu dans une déclaration que ses livraisons de H20 en Chine n’affectaient en rien sa capacité à servir ses clients aux États-Unis : « la vente du H20 n’a aucun impact sur notre capacité à fournir d’autres produits Nvidia ».

Nvidia n’en finit pas de se dresser contre des projets de loi ou des propositions destinées à limiter l’utilisation de puces américaines en Chine, dans un contexte de guerre-compétition technologique entre les deux pays. Quelques semaines plus tôt, un projet de loi a proposé d’équiper certains semi-conducteurs américains de logiciels de suivi ou de contrôle à distance – ce qui avait mis vent debout les autorités chinoises.

À lire aussi : Des backdoors dans les puces Nvidia ? Pékin exige des explications du géant américain

🔴 Pour ne manquer aucune actualité de 01net, suivez-nous sur Google Actualités et WhatsApp.