L’échéance est fixée depuis mars dernier : le 31 décembre 2025 sera le dernier jour de distribution du courrier par la poste danoise, alias PostNord Danmark (que nous abrégerons PostNord par la suite, bien qu’il existe aussi PostNord Sverige ; PostNord est le fruit d’une fusion des sociétés de service postal Posten AB et Post Danmark opérée en 2009). Il marquera la fin de quatre siècles de courrier distribué par une entité publique dans le pays.
Dans un article récemment publié par la BBC, le journal revient sur cette décision et prend le pouls auprès de la population et des différentes parties prenantes. De manière plus générale, le titre explicite le propos : Au Danemark, la fin des lettres illustre l’ère du numérique ; une ère vers laquelle tous les pays développés se dirigent inéluctablement.
Des facteurs devenus oiseaux de mauvais augure
Herman Moyano, un postier qui livre non pas en vélo-cargo ou en camionnette comme certains de ses collègues, mais à scooter, décrit sa réalité ainsi : « Autrefois, les gens attendaient tous quelque chose, une lettre spéciale, une communication particulière, un colis important […] J’ai vu le volume de courrier diminuer progressivement. Mais ça s’est vraiment accéléré ces dernières années ». Aujourd’hui, il achemine surtout des factures ou des relevés bancaires. De quoi réduire l’excitation de sa venue !
Il y a quinze ans, PostNord exploitait encore plusieurs immenses centres de tri de lettres ; il n’en reste plus qu’un, à l’ouest de Copenhague. Un tiers de ses effectifs sera supprimé, soit 2 200 postes, dans cette branche déficitaire. À la place, PostNord va se concentrer sur son activité rentable de livraison de colis, créant 700 nouveaux emplois dans cette branche.
Kim Pedersen, directeur de PostNord Danemark, justifie : « Les Danois ne reçoivent quasiment plus de lettres. […] En moyenne, ils n’en reçoivent qu’une par mois, ce n’est pas grand-chose. En revanche, les Danois adorent faire leurs achats en ligne. Le commerce électronique mondial croît fortement, et nous suivons cette tendance. »
Depuis 2000, le volume de courrier traité par l’entreprise a chuté de plus de 90 %, passant d’environ 1,4 milliard de lettres à 110 millions l’an dernier — et la baisse se poursuit à grande vitesse. Victimes collatérales de ce retrait : 1 500 boîtes aux lettres rouges sont retirées des rues danoises.

Une tendance globale
Bien sûr, cette dégringolade du courrier physique n’est pas propre au Danemark : elle s’observe partout en Europe. Hazel King, experte du secteur postal et rédactrice en chef du magazine Parcel and Postal Technology International, allègue : « Les volumes de lettres en Europe reculent depuis des années. La décision de PostNord reflète l’évolution du marché dans son ensemble, et la manière dont les consommateurs changent leurs habitudes. »
Concrètement, selon un rapport du cabinet McKinsey cité par la BBC, le courrier physique a chuté d’au moins 30 % par rapport à son pic historique sur tous les grands marchés mondiaux. En Europe, l’Allemagne et la Suisse affichent le déclin le plus lent. Florian Neuhaus, co-auteur de l’étude : « Là-bas, il n’est que de 40 %. Mais ailleurs, la baisse atteint 50 à 70 % depuis 2008 ». Même topo outre-Atlantique, où les États-Unis suivent une trajectoire similaire, avec une diminution de 46 %.
Toutefois, le Danemark est un pionnier du tout numérique : il a généralisé depuis plus d’une décennie les échanges électroniques avec ses citoyens. Le DGI (Digital Government Index) 2023 de l’OCDE situe le pays parmi les plus digitalisés au monde, juste derrière la Corée du Sud. Pour Kim Pedersen, cette transition a placé le pays avec cinq à dix ans d’avance sur d’autres nations. En témoigne notre article de 2011 qui relatait la substitution du timbre poste par un code reçu par SMS. Ou, plus récemment, l’offensive du Danemark envers les deepfakes, que nous avons présentée comme susceptible de faire école partout ailleurs en Europe.
Le secteur privé prend le relais
Mais au-delà de cette tendance de fond, c’est aussi une décision politique prise en 2024 qui a accentué le déclin. En effet, une nouvelle loi a ouvert le marché postal à la concurrence privée et supprimé l’exonération de TVA (25 %). Résultat : le prix d’un timbre PostNord a bondi à 29 couronnes danoises (3,88 euros).
Naturellement, dans le pays, la distribution du courrier ne s’arrêtera pas totalement du jour au lendemain. L’entreprise privée DAO, déjà distributrice nationale de journaux et de colis, va reprendre le flambeau et assurer un service national. Le groupe, qui a déjà traité 21 millions de lettres en 2024, prévoit d’en gérer 30 à 40 millions de plus dès 2026. DAO livrera le courrier lors de ses tournées existantes et s’appuie sur des commerces partenaires pour la collecte, avec en option un ramassage à domicile moyennant un supplément. Pour absorber ce volume supplémentaire, le groupe va investir dans une nouvelle machine de tri et prévoit de recruter environ 250 employés supplémentaires, ce qui portera ses effectifs à environ 2 500 personnes.
Cette transition est cependant vue d’un mauvais œil par certains. Les membres de l’association DaneAge, qui défendent les droits des personnes âgées, craignent que les plus anciens et les plus isolés ne soient défavorisés ; les postiers du syndicat 3F Postal Union redoutent que la qualité des services en zone rurale ne se dégrade.
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Source : BBC