Passer au contenu

10 ans plus tard, quel bilan pour le délit d’obsolescence programmée ?

Dix ans après l’introduction, dans le droit français, du délit d’obsolescence programmée, 01net.com s’est entretenu avec Samuel Sauvage, porte-parole et cofondateur de Halte à l’obsolescence programmée (HOP), pour dresser le bilan de ce délit sanctionnant les techniques visant à réduire la durée de vie d’un appareil.

Sur le papier, l’idée était belle : rallonger la durée de vie de très nombreux appareils électroniques, en sanctionnant les « mauvais élèves », ces fabricants qui raccourcissent délibérément la durée de vie d’un produit, en vue de vous inciter à un nouvel achat. Le 17 août 2015, le législateur français introduisait le délit d’obsolescence programmée pour réduire les déchets et réduire les factures, « une première en Europe et une première mondiale », se remémore Samuel Sauvage, porte-parole de Halte à l’obsolescence programmée (HOP).

Mais dix ans plus tard, le bilan reste mitigé. Aucun fabricant d’appareils électroniques n’a été condamné sous l’égide de l’article L. 441-2 du Code de la consommation. Le texte sanctionne « le recours à des techniques, y compris logicielles, par lesquelles le responsable de la mise sur le marché d’un produit vise à en réduire délibérément la durée de vie ». Dans un tel cas, l’entreprise est passible d’une amende 300 000 euros et d’une peine pouvant aller jusqu’à deux ans de prison.

En dix ans, plusieurs actions en justice ont pourtant été menées par des associations de défense des consommateurs comme HOP. Les cas d’obsolescence programmée ne touchent généralement pas quelques rares consommateurs, mais des centaines, voire des milliers d’entre eux. À charge pour eux de signaler les dysfonctionnements aux ONG qui vont, elles, pouvoir réaliser une expertise technique et attaquer en justice les fabricants.

« À l’échelle collective, on peut faire plus de bruit »

Imaginons que votre machine à laver cesse de fonctionner, juste après la fin de la période de garantie : vous pourriez avoir, à juste titre, des soupçons sur le caractère délibéré de la panne. Et plutôt que de vous lancer en tant que particulier dans une action en justice — même si cela reste tout à fait possible — « nous recommandons quand même d’essayer de passer par une association de défense des consommateurs pour voir si d’autres consommateurs sont dans le même cas ». « À l’échelle collective, on peut faire plus de bruit, et on n’a pas à supporter seul les frais d’avocat », ajoute le porte-parole de HOP.

Depuis 2015, quatre actions en justice ont tenté, en France, de sanctionner un fabricant pour obsolescence programmée. Une action contre Apple, initiée par HOP en 2017, a abouti à une amende de 25 millions d’euros, non pas pour délit d’obsolescence programmée, mais pour « pratiques commerciales trompeuses par omission » après une négociation avec la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). On reprochait alors à Apple de délibérément ralentir les iPhone 6, 6S SE et 7 après la mise à jour du dernier système d’exploitation.

Epson, HP, Canon et Brother ont aussi été attaqués en justice en 2017 sur la durée de vie de leurs imprimantes et de leurs cartouches, pendant qu’Apple a, à nouveau, été visé en 2022, tout comme HP en 2024. Nintendo a aussi été la cible d’une plainte de l’UFC Que Choisir pour des manettes Switch jugées défectueuses en 2019.

Prouver « l’intentionnalité du délit », un parcours du combattant

Mais dans chacune de ces affaires, les associations se sont heurtées à la même difficulté : prouver l’obsolescence programmée. La raison est simple : « On n’est pas dans les papiers de conception des appareils », explique Samuel Sauvage. Or, non seulement il faut estimer ce que serait une durée de vie normale de tel produit, ce qui nécessite une certaine expertise technique. Mais il faut surtout prouver « l’intentionnalité du délit », souligne-t-il.

« Concernant Apple, il y a eu des milliers de signalements outre-Atlantique sur les ralentissements des iPhone. Pour Epson, qui était notre première plainte, nous avons mené un rapport d’enquête qui a montré qu’il y avait bien (…) une puce qui comptait le nombre d’impressions. Donc là, on a pu démontrer qu’il y avait des mécanismes qui raccourcissaient (artificiellement) la durée de vie du produit ». 

Mais parfois, les choses sont moins évidentes, et la preuve difficile à apporter, même si le législateur français a allégé cette dernière en novembre 2021. Ajoutez à cela que l’enquête et l’expertise ont un coût qui reste lourd à supporter pour une association. Selon Samuel Sauvage, « il faut de manière générale qu’on soit plus nombreux à donner l’alerte. Nous sommes une petite association et nous ne pouvons pas mener de nombreuses enquêtes tous les ans ». En parallèle, les consommateurs doivent davantage signaler les anomalies techniques, et davantage soutenir les associations.

Le délit se heurte à la lenteur de la justice

Mais à côté du problème de la preuve, le délit s’est heurté à « la lenteur de la justice ». Résultat, on a « une loi qui, finalement, n’est pas appliquée ». Dans une tribune publiée dans Le Monde, mercredi 20 août, HOP et des parlementaires appellent « les pouvoirs publics, et notamment le parquet, à faire diligence pour instruire les plaintes (déposées, NDLR) dans les meilleurs délais ». Pour Samuel Sauvage, « c’est le travail de la DGCCRF (la direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes, l’autorité en charge de défendre les consommateurs, NDLR) de faire appliquer ce délit. S’ils ont aussi peu de moyens, cela reste un organe d’État indépendant qui doit faire appliquer cette loi, et qui doit effectuer des contrôles », ajoute-t-il.

Or, « une loi qui n’est pas appliquée, ça décrédibilise complètement ce délit et ça décourage le dépôt de plaintes, alors que le délit est là pour protéger la planète et le consommateur. Il s’agit d’un sujet d’intérêt général sur lequel le législateur et la DGCCRF doivent redoubler d’efforts », soutient le co-fondateur de HOP. L’association, qui a publié un livre blanc avec 50 propositions pour allonger la durée de vie des produits, milite aussi pour interdire les mises sur le marché européen de produits qui ne sont pas suffisamment durables et réparables. « Parce que déposer plainte contre ces produits intervient lorsqu’il est déjà quasiment trop tard. Les produits qui ont une note de durabilité ou de réparabilité trop faibles ne devraient pas être mis sur le marché européen », plaide-t-il.

Un serment de durabilité, des actions de groupe plus accessibles

Une fois que le produit a été vendu, il faudrait aussi rendre les procédures plus accessibles, et simplifier les actions de groupe « pour qu’on puisse plus facilement agréger des plaintes de consommateur et obtenir une réparation au civil pour le dommage causé. Cela entraînerait des répercussions sur les marques qui devraient indemniser tout d’un coup des milliers de consommateurs », soutient-il. Car aujourd’hui, pour être considérée comme une association agréée (à même de former une action collective), « il faut avoir près de 10 000 adhérents », un seuil qui reste trop élevé pour de nombreuses organisations, déplore le porte-parole de HOP. 

À lire aussi : un smartphone réparé rapidement et à un prix accessible ? Pourquoi on en est encore loin en Europe 

L’association plaide aussi pour mettre en place « un serment de durabilité » qui, à l’image du serment d’Hippocrate pour les médecins, engagerait l’ingénieur qui le signerait à ne jamais recourir à l’obsolescence programmée.  Mais à côté de l’application du délit d’obsolescence programmée qui reste à désirer, tout n’est pas noir.

Depuis dix ans, « nous avons obtenu deux grandes victoires : le consommateur est d’abord mieux informé sur la réparabilité et la durabilité des produits », constate Samuel Sauvage. « Depuis 2021 sur la réparabilité, depuis 2025, sur la durabilité, on a des indices qui se mettent en place et qui sortent enfin le consommateur d’une obscurité dans laquelle il était plongé ». Autre bon point : le coût de la réparation a été rendu plus compétitif, avec « le bonus réparation qui est une aide concrète pour que la réparation soit moins chère, et donc qu’elle soit davantage choisie par le consommateur, ce qui soutient aussi toute une filière ».

À lire aussi : Accès aux pièces détachées, garantie étendue… Voici en quoi consiste votre nouveau « droit renforcé à la réparation »

L’arrêt de Windows 10, « le plus grand scandale environnemental du 21ᵉ siècle »

Mais la grande bataille actuelle reste « l’arrêt de la mise à jour par Microsoft de Windows 10 », décrit comme « ce qui pourrait être le plus grand scandale environnemental du 21ᵉ siècle, quand on regarde les tonnes (de matériel à jeter) et les pollutions en jeu ». « Je ne comprends pas pourquoi l’État français ne réagit pas », tacle Samuel Sauvage.  Pour rappel, à partir du 14 octobre prochain, le système d’exploitation de Microsoft, Windows 10, ne recevra plus aucune mise à jour de sécurité. Microsoft cherche à inciter ses utilisateurs à migrer vers Windows 11, voire à acheter un nouveau PC en fonction de la configuration matérielle de l’ordinateur.

À lire aussi : Mise à jour des systèmes d’exploitation, à quoi avons-nous droit lorsqu’on achète un ordinateur ou un smartphone ?

La firme américaine propose néanmoins une mise à jour pendant un an supplémentaire, si vous acceptez de payer trente dollars pour un an, ou si vous acceptez d’utiliser l’utilitaire de sauvegarde de Microsoft (Windows Backup) ou d’autres outils et services (via l’utilisation de points Microsoft Rewards). Faute d’avoir une configuration suffisante pour exécuter Windows 11, près de 240 millions de PC qui fonctionnent parfaitement aujourd’hui pourraient finir à la décharge.

À lire aussi : Windows 10, Microsoft donne un an de mises à jour gratuites en plus, mais il y a un piège (ou deux)

Contrairement aux smartphones depuis juin dernier, il n’existe pas, pour les ordinateurs, de durée obligatoire de mise à jour, qu’elle soit fonctionnelle ou relative à la sécurité : les fabricants d’ordinateurs sont seulement soumis à une obligation d’information du consommateur depuis la loi AGEC et un décret de 2022 : un trou dans la raquette qu’il serait temps de combler, en attendant une application du délit d’obsolescence programmée plus effective.

À lire aussi : à partir du 20 juin, l’Europe impose 4 nouvelles règles aux fabricants de smartphones, voici ce qui va changer

🔴 Pour ne manquer aucune actualité de 01net, suivez-nous sur Google Actualités et WhatsApp.